Le journal de Melkior

6eme jour de la saison du Phénix, an 1072 ap.E.

Moi, Melkior Arganoth, serviteur de Grenth, entreprend aujourd'hui la rédaction de ce journal, afin d'y consigner mes découvertes. J'espère que mes travaux serviront à d'autres après moi, tout comme ceux de mes prédecesseurs m'ont servi.

Voilà un moment que je m'interroge sur les Catacombes, lieux où j'ai vécu pendant quelques années, alors que l'on m'initiait aux pouvoirs nécromantiques.
Les catacombes forment un réseau de galeries qui s'étend sous tout le royaume d'Ascalon. Ce réseau est si vaste qu'il semble que la plupart des failles, cavernes et grottes que l'on trouve à la surface y sont liés.

C'est un lieu où règne une énergie mystique particulière. Les morts que l'on y déposent sns ler avoir donné le sacrement de Dwayna se relèvent aisément, réduits à l'état de cadavres hostiles et sans âme.

C'est un lieu où vivent beaucoup de nécromants, rejetés de la surface, ainsi que des créatures telles que les dévoreurs, les araignées géantes, et les terribles démons des cryptes, monstres brumeux invoqués lors de rituels nécromantiques plus ou moins malsains. C'est un endroit dangereux, où il est préférable de ne pas s'aventurer seul, à moins de le connaitre parfaitement, et de savoir se défendre contre les pires atrocités.

Les catacombes recèlent de nombreuses ruines. Ce sont ces ruines qui m'intéressent et m'intriguent, se sont elles qui motivent mes recherches.

En les parcourant, on devine qu'il s'agissait à l'origine d'un immense lieu de culte, plus vaste que l'actuelle cité d'Ascalon. Plus vaste, paraît-il, que la grande Arche du Lion de Kryte.

Mais même mes maîtres nécromants, qui vivaient pourtant dans ces ténèbres depuis des années, étaient incapables de me parler des origines de ce lieu.

Là commencent mes recherches.

A l'évidence, il m'apparut que les fresques, les statues et les ruines des catacombes étaient bien plus anciennes que l'abbaye d'Ashford.

Il y a trois jours, je commençai mes recherches dans les archives de l'Abbaye.
J'y découvrit que les galeries sous l'abbaye ne furent utilisées comme catacombes qu'à partir de l'an 932 ap. E, soit seulement 140 ans avant notre ère.
Dans les registres que je consultai, il était déjà fait mention des ruines, comme je m'y attendait.

Je compris que ces galeries n'avaient donc pas toujours eut une fonction funéraire.
Il s'agissait cependant bien d'un temple, comme le prouvent les nombreuses fresques divines que l'on peut y trouver. Un temple qui cependant était surtout consacré à mon Seigneur, le Puissant Grenth.

J'eu le plus grand mal à trouver, dans les archives, d'autres mentions de ces ruines d'avant leur utilisation comme tombeau. Je refoulai difficilement ma fierté et demandai assistance au scribe principal de l'abbaye, le prêtre Meerak.
Ce stupide moine sembla indisposé par ma présence. Peut-etre était-ce dût à mon statut de nécromant, à moins que ce ne soit la nature de mes recherches qui le troublait.
Quoiqu'il en soit, et malgré ses protestations et ses tentatives pour me convaincre de le laisser en paix, je parvînt à lui arracher l'information que je cherchai. Il me dit que je trouverai de plus amples informations dans le journal d'un certain Alosius de Rin, un architecte érudit qui, comme je l'apprît dirigea en l'an 898 ap.E les chantiers du grand rempart, et celui de l'abbaye d'Ashford où je me trouvais.

Je me rendrai demain à Rin, où je trouverai ce journal dans les archives de la Grande Bibliothèque Royale.

Journal, 8ème jour de la saison du Phénix

La route pour Rin s'est révélée pour le moins agitée. N'ayant pris que peu de repos après mon passage à Ashford, je me levais à l'aube et partit pour le rempart. La route pour Rin exige en effet que l'on s'aventure dans les terres du Nord, pour rejoindre l'ouest du rempart. Muni uniquement de mon bâton et de ma besace, et drapé dans une longue cape à capuchon - le fond de l'air était humide, et l'orage s'annonçait - je me mis en route. A pied, je savais qu'il me faudrait la journée pour atteindre Rin.

A l'heure où le soleil se fait le plus haut dans le ciel, j'entendis un vacarme effroyable, une bataille avat lieu. Je découvris une troupe de gardes ascaloniens en mauvaise posture face à une douzaine de charrs. Quelques cadavres souillaient déjà l'herbe verte de la plaine.

Je décidait de leur venir en aide, non pas que leur sort m'importa réellement, mais je savais que si je n'intervenait pas, les gardes se feraient massacrer et les charrs se tourneraient alors vers moi, ce qui ne concordait pas avec mes intentions, je dois l'admettre.

Je me servit donc de quelques cadavres pour lever des serviteurs, qui prirent les charrs à revers. Les bêtes s'acharnèrent sur ces squelettes, ne remarquant pas que je profitait de cette diversion pour invoquer la puissance des cryptes et du sang.
Je ne m'attarderait pas sur ce combat, je mentionnerait uniquement la très agréable participation d'une nuée d'insectes nécrophages que je regardait, avec grand plaisir, dévorer vivants les charrs impuissants.

Visiblement dégouté, le chef des gardes ne m'en fut pas moins reconnaissant. J'appris qu'ils se rendaient à Rin, et décidait donc de rester avec eux.

Nous attînmes la ville dans la soirée, alors que l'orage grondait dans les collines derrière nous.

Je cherchai immédiatement la bibliothèque royale, que je n'eût aucun mal à trouver : elle se distinguait par sa taille, et sa prestance. La bibliothèque de Rin ressemble à une immense cathédrale.

En quelques mots, j'expliquai au scribe archiviste ce que je cherchai, et il me conduisît dans les sous-sols du bâtiment, dans une pièce aux murs recouverts de vieilles étagères chargées de vieux parchemins décrépis. M'indiquant l'une des étagères, il me dit que c'était là qu'était conservées les archives des grandes familles de Rin.

Je me mis immédiatement à la tâche, et tandis qu'au dehors les chiens hurlaient dans la nuit et qu'une pluie glacée se déversait, j'étudiais les antiques parchemins et reliures à la lueur des bougies.

Je trouvais enfin ce que je cherchai : le journal d'Alosius de Rin, architecte bâtisseur du grand rempart et de l'abbaye d'Ashford.

Je reporte ici quelques extraits :


"Journal, année 898 a.E,
32ème jour du Colosse

Le chantier du rempart à peine terminé, mes ouvriers et moi-même devons de nouveau nous mettre à la tâche. Le roi Drognir a commandé l'édification d'une abbaye vouée au culte de Dwayna, près des ruines d'un vieux temple dont la plus grande partie semble s'étendre sous terre.

Cette tâche sera aisée, mais il semble qu'un problème se pose : certains de mes ouvriers refusent d'approcher ce lieu qu'ils disent hantés par la volonté de Grenth.
Il est vrai que les statues et fresques vouées au dieu de la mort que l'on peut voir en surface sont sinistres, mais je ne suis pas homme à pardonner de telles superstitions idiotes. Les ouvriers récalcitrants ont été renvoyés chez eux sans salaire.


41ème jour du Colosse

Les travaux ont débuté depuis 5 jours, et aucun autre incident n'est à déplorer.
Le froid rend le travail difficile, mais mes ouvriers sont des hommes robusteset compétents, qui plus est motivés par les primes que je leur octroie. Je n'ai en effet rien trouvé de mieu que l'appât du gain pour leur faire oublier leurs inquiétudes surnaturelles.

Les fondations posent quelques problèmes, car il faut compter avec les nombreuses galeries abandonnées qui courent sous nos pieds. Le sol de cet endroit est un véritable gruyère! J'ai pris la liberté d'envoyer un messager dans les Cimefroides vers un vieil ami, un mineur nain de Deldrimor, qui saura mieu que personne me guider à travers les travaux des galeries.


67ème jour du Colosse

Grunir le nain est arrivé il y a 10 jours avec quelques uns de ses compatriotes des montagnes. En quelques jours, ils ont grandement rattrapé notre retard, emmenant des ouvriers dans les galleries pour consolider les fondations de mon abbaye.

Toutefois, quelque chose m'intrigue sur ces travaux souterrains. Les ouvriers humains en reviennent terrorisés, tandis que les nains semblent vouloir s'enfoncer dans les profondeurs à la recherche des trésors que les ruines antiques peuvent cacher dans les ténèbres.

Je convînt avec Grunir qu'une fois les travaux terminés, nous mènerions une petite expédition "archéologique" dans ce vieux temple oublié. En hônnete homme, je ne peux tolérer que des trésors lithurgiques restent à pourrir sous terre!

Je vais commencer quelques recherches avant de me lancer dans l'inconnu. Cet endroit m'intrigue de plus en plus!"


Ainsi Alosius a-t-il lui aussi cédé à l'appât du gain, à moins que ce ne soit l'appel des profondeurs. J'en étais là de ma lecture quand un messager vînt me trouver pour m'annoncer que le Comte Délioghad de Rin m'invitait en sa demeure.
Je refusais d'abord, puis appris du messager que le Comte avait pour épouse la descendante directe d'Alosius de Rin.

Cette histoire devient intéressante. J'ai décidé d'accepter cette invitation, afin de voir si je puis trouver des choses intéressantes chez la noblesse de Rin. Je reprendrai plus tard l'étude du journal d'Alosius.

9ème jour de la saison du Phénix.

Que de surprises en cette journée! J'ai enfin découvert les origines des catacombes.
Mais commençons par le commencement.
Comme je l'ai écrit hier, le Comte Délioghad de Rin m'a convié en sa demeure. J'ai juste eu le temps d'écrire les pages précédentes avant de m'y rendre.
Je ne regrette pas ma décision, ayant fait d'importantes découvertes.
Cependant, il semble que ce qui n'était pour moi au départ qu'une recherche historique prenne peu à peu la tournure de fouilles archéologiques.
J'ai passé le restant de la nuit, ainsi que toute la journée chez le Comte.

Je vais m'efforcer de coucher sur ces pages les faits tels qu'ils se sont passés.

Je me suis donc présenté hier soir à la demeure du Comte. Il me reçu fort aimablement, ses manières étaient courtoises, et il m'entretînt de sujets divers pendant près de deux heures, sans toutefois parler de mes recherches. Je sentis bien vite sa nervosité, il semblait anxieux. Pour un membre de la noblesse, son inaptitude à cacher ses sentiments me troubla, mais je compris qu'il ne devait pas son rang à son sang mais à celui de sa femme.

Elle fit son entrée fort majestueusement, avec la dignité et le maintient qui sied à une femme de la haute noblesse du royaume. Je tiens à noter ici deux remarques, deux pensées qui me vinrent dès ce moment. La première est l'état du Comte : il semblait à la fois paniqué et soulagé, comme i l'arrivée de son épouse était la chose qui le renait si anxieux depuis un moment. La deuxième est ce que je perçut chez elle : tout nécromant assez puissant peut sentir dans son entourage la présence des autres serviteurs de Grenth. En effet, la Comtesse de Rin posséde des facultés nécromantiques, bien que moindres.

Elle se présenta à moi comme la Comtesse Onorine de Rin, puis ajouta "descendante d'Alosius de Rin". A la manière dont elle semblait guetter mes réactions, je compris qu'elle n'avait réservé cette présentation uniquement à mon intention.

Le Comte ne demeura pas avec nous. Prétextant une fatigue soudaine, il nous quitta peu de temps après, visiblement soulagé.

Alors que ses pas résonnaient encore dans l'escalier, Onorine me demanda brutalement :

"Alors, où en êtes-vous de vos recherches dans le journal de mon aïeul?"
Si elle attendait une réaction de surprise de ma part, elle fut déçue.

Je lui expliquai rapidement où j'étais arrivé dans l'étude du journal, ne m'attardant pas sur les détails, persuadé qu'elle l'avait déjà lu.

Elle m'écouta sans un mot, puis quand j'eût fini mon exposé, elle reprit :

"Vous ne trouverez rien de plus dans la suite du journal. Alosius n'y expose pas ses découvertes. Il ne fait que parler de la fin des travaux de l'abbaye, ainsi que de ses préparatifs pour son expédition avec les nains."

Elle fit une pause, puis me demanda : "Savez-vous ce qu'il est advenu de mon ancêtre?"

J'avouai mon ignorance. "Il est revenu seul de cette expédition, et le pauvre avait complètement perdu la raison" expliqua-t-elle sur un ton redoutablement détaché.

Elle me raconta comment Alosius fut interné dans l'abbaye qu'il avait bâti, pris de crises de terreur épouvantables, ou bien d'accès de violence terribles. Les moines qui s'en occupaient notèrent qu'il répétait souvent la même litanie : " Là où se croisent les six regards de Grenth, j'ai caché le secret..."

Elle sembla encore guetter une réaction de ma part, qui ne vint pas. Puis elle continua :

"En vérité, Alosius est revenu consulter des documents à Rin, à la grande bibliothèque. Grâce à la merveilleuse organisation des scribes qui notent tout ce qu'ils voient et entendent, j'ai été en mesure de savoir exactement quels documents il a consulté. Ses documents remontent à bien longtemps avant notre époque. En vérité, ils datent d'une cinquantaine d'années avant l'Exode."

Cette fois, je ne pu cacher ma surprise. Des documents remontant à cette période étaient d'une incroyable rareté.

Onorine avait conservé ces documents, et me laissa les étudier pendant de longues heures, restant près de moi et me guidant dans mes recherches.

Pour résumer l'incroyable quantité d'informations que j'y trouvai, ces parchemins parlent d'un certains Hérios, dit "le Bâtisseur". Hérios était un individu fourbe et malfaisant, l'un des premiers serviteurs de Grenth, et l'un des plus puissants qui aient existé. A cette époque, les dieux foulaient encore cette terre, Grenth y comprit.
La légende dit que Hérios, alors un jeune noble cruel et sans vergogne, avait offensé les dieux par ses nombreux blasphèmes. Ceux-ci le punirent en lui envoyant un dragon.

Hérios se mit à ramper dans les souterrains, espérant échapper à la créature, et se mit à supplier les dieux de lui accorder leur pardon. Un seul accepta de l'écouter : Grenth , le tout puissant maître de la mort, seigneur du givre. Grenth proposa n marché à Hérios : il lui accordait le pouvoir de tuer le dragon, en échange de quoi il devait bâtir au dieu un temple qui lui servirait de demeure sur cette terre.
Hérios accepta, tua le dragon avec ses pouvoirs de nécromantie accordés par le dieu lui même, et bâtit les catacombes. Grenth relia le monde des morts à ce temple souterrain par un immense puit sans fond.

Ici, je ne peut m'empécher de penser qu'il s'agit peut-etre de l'immense puit insondable que l'on trouve non loin de l'entrée des catacombes du coté des terres de Barradin. Lorsque j'étais jeune nécromant, on jetait dans ce puit ceux qui trahissaient la guilde.

Ma main tremble à la pensée que, loin sous la terre, dans les profondeurs infinies de ce trou béant auprès duquel j'ai grandit, ce trouve sans doute le royaume infernal, territoire des âmes onnies et maudites, où sont précipitées les âmes de ceux jugés trop indignes d'atteindre les palais célestes. Et je peine à réfréner l'excitation qui me gagne, en pensant que le dieu que je sert depuis si longtemps a foulé en personne le sol de ces cryptes, où j'ai moi-même vécut tant d'années.