Souvenirs d'Ascalon

Les soldats du Blanc Manteau avançaient péniblement dans les marécages de Maguuma, épiés par des dizaines d'yeux hostiles : des yeux de reptiles, des yeux d'insectes, des yeux humains...
Dissimulés derrière les arbres, la petite compagnie de la Lame Brillante suivait cette patrouille depuis maintenant des heures.

Les cris des oiseaux se faisaient de plus en plus rares, mais de plus en plus perçants et effrayant. Les soldats, ruisselants de sueur, lançaient autour d'eux des regards terrifiés. Seul leur chef gardait toute son arrogance :
"Un peu de courage, bande de larves. L'Invisible veille sur nous!" lança-t-il à son escorte.

A ces mots, certains semblèrent se détendre, mais se crispèrent à nouveau en entendant un craquement sonore devant eux. Un loup sortit des fourrés, une bête puissante et gracieuse, qui les toisait de ses yeux de braise. Sans un bruit, il restait là, immobile, devant la trentaine d'hommes en armes et armures blanches qui le regardaient comme s'il s'agissait d'un spectre.

Soudain, le loup leva la tête et poussa un long et terrible hurlement, rendu assourdissant par l'écho que renvoyaient les milliers d'arbres alentour, glaçant le sang des soldats dans leur veines.

Le bruit de dizaines de flèches fendant l'air répondit à ce hurlement lugubre.
Les soldats tombèrent les uns après les autres dans l'eau du marécage, qui rougit de leur sang. Quand le silence revint, tous les hommes du Blanc Manteau gisaient morts ou agonisant. La Lame Brillante sortit du couvert des arbres. Un dizaine d'hommes masqués, vétus d'armures de cuir teintes aux couleurs de la forêt. L'un d'eux s'approcha du loup en ôtant son masque, découvrant un visage basané et dur. Il caressa l'animal qui gratifia sa main d'un coup de langue.

"Bien joué, Fenrir mon ami." dit l'homme.
"Seigneur Grigan", appela l'un des rôdeurs, "Encore une victoire de la Lame Brillante que nous devons à vos talents de pisteur!"

Grigan le Banni, car s'est ainsi qu'on l'appelait, contempla l'épaisse forêt de Maguuma sans répondre.

"Nous sommes bien aise de vous avoir parmis nous, bien que vous soyez loin de chez vous." reprit le rôdeur.

"Je n'ai plus de chez moi." murmura Grigan.
Il leva à nouveau les yeux vers la cimes des arbres, et une larme perla dans son regard dur et fier.

"Cela fait plus de deux ans qu'Ascalon fut détruite, réduite en une terre de cendres et de ruines où plus rien ne pousse.
Mais jamais je ne pourrais oublier La beauté de ses forêts. Les reflets du soleil miroitant sur le lac près de la Cité Royale, ses vertes vallées ou fleurissait la vigne du Seigneur Barradin. La neige blanche et immaculée des Cimes du Sorcier où je vint au monde. Les ruisseaux bleus qui veinaient cette terre, où règnait la joie de vivre.
Même la beauté lugubre des catacombes sous Ashford me manque..."

Sa voix se perdit dans un murmure. Il baissa la tête, dos aux hommes qui le regardaient à la fois génés et remplit d'un respect ardent pour cet homme qui avait perdu le pays qu'il aimait plus que sa vie. Ses épaules étaient secouées par un sanglot muet. Face à lui, Fenrir le loup poussait une plainte quasi-inaudible.

Enfin, après quelques minutes, il releva vivement la tête, passa rapidement une main sur son visage et se tourna vers ses hommes, aussi droit et fier qu'auparavant.

"Allons rendre compte de cette victoire à nos alliés" Dit-il d'un ton ferme, avant de se mettre en marche d'un pas décidé.